- Parfait, vous avez un grand talent de copiste, mon garçon.
- Je suis ravi que mon travail vous donne satisfaction, dit le jeune homme avec ironie.
- Je vais tous les mettre en boîte, dit le milliardaire, riant. Ils en seront malades.
- Qui, Monsieur ?
- Qui ? Tous les experts célèbres, le directeur des Beaux-Arts, les conservateurs, le représentant du ministre, tous. Ha, ha, ha ! Vraiment, vous avez beaucoup de talent.
- Monsieur, puis-je vous apporter quelques toiles de moi, de moi personnellement...
- De vous ? demanda le petit homme riant toujours.
- Oui, de moi, Jean-Pierre Tarlé, je suis peintre, je ...
- Tarlé ? Connais pas. Chez moi, Rembrandt, Botticelli, Van Gogh, pas de vivants, pas de vivants !
- Mais, Monsieur, ces peintres illustres ont parfois vendu leurs oeuvres, durant leur vie ; les acheteurs n’ont pas fait de mauvaises affaires.
- Ça ne m’intéresse pas ; je ne prends jamais de billets de loterie.
César Norias continua de fumer un cigare, en surveillant le jeune homme qui faisait une dernière retouche de vernis spécial sur le tableau qu’il venait de copier d’après la célèbre toile de Goya « La femme à l’oeillet ». Le milliardaire avait acheté ce Goya au cours de la vente fameuse où les prix records du monde avaient été battus.
Le peintre donna un dernier coup de pinceau sur le tableau.
- Monsieur, dit le jeune homme, puis-je me permettre de vous demander quel genre de plaisanterie vous voulez faire avec cette copie de Goya ?
- Ce que je veux en faire ? Je ne peux pas vous le dire, ce ne serait plus amusant. Je vous paye. Que voulez-vous de plus ? Mais si cela vous amuse, venez tout à l’heure à la soirée que je donne, je vous invite. Vous verrez, ajouta-t-il, comment on peut tromper tout Paris.
Jean-Pierre avait compris. Il regarda le second cadre posé près de son tableau. Naturellement, Norias allait exposer le faux, le laisser admirer par ces gens qui diregeaient l’opinion et ensuite dévoiler la superchérie.
- Voici votre chèque, dit le milliardaire. Je vais revenir dans un quart d’heure. Mettez votre oeuvre dans ce cadre. Fermez la pièce à clef, je vous prie.
Evidemment, personne ne devait voir les deux tableaux. Resté seul, le peintre regarda longuement les toiles. Elles étaient vraiment identiques. Le teint pâle de l’étrange Espagnole possedait la même transparence, la même couleur d’ivoire dans la copie que dans l’original.
Soudain, il lui vint une idée. César Norias voulait tromper tout Paris ; pourquoi ne pas tromper César Norias ? Et bien, je vais leur faire admirer le vrai Goya. Et qui sera ridicule ? Norias. Il ne connaît rien à la peinture, il va être grotesque.
Le jeune peintre eut juste le temps de faire l’échange et d’allumer une cigarette. Il entendit dans le couloir les pas du milliardaire.
- Est-il assez sec ? demanda Norias, nous pouvons l’accrocher maintenant.
Tarlé saisit le Goya. Dans le grand salon, Tarlé, pendant que Norias reculait pour juger de l’effet, accrocha le tableau. Aux murs se trouvaient déjà un Fragonard et un Cézanne. Cependant, la mystérieuse beauté du Goya éclipsait tout, retenait le regard.
- Il y a dans votre toile deux ou trois empâtements, qu’il n’y a jamais eu chez Goya, dit le milliardaire. Vous voyez, dans le noir des cheveux ; vous n’avez pas réussi à rendre les reflets bleus de la chevelure.
Tarlé réprima son rire.
Le soir, tous les professionnels et les amateurs de Paris emplissaient les salons.
Tarlé, dans un coin attendait. Quand le milliardaire allait-il leur annoncer qu’il s’était moqué d’eux ? A ce moment le peintre dirait tout. Ils verraient quel brillant connaisseur était César Norias, incapable de distinguer un tableau qui lui appartenait d’une copie.
- Monsieur Norias, dit un conservateur des Musées Nationaux, laissez nous espérer que jamais cette toile ne quittera la France.
Norias éclata d’un rire qui fit reculer les gens qui l’entouraient. Soudain, il sortit de la poche intérieure de son veston un petit poignard et lacéra le tableau en trois bandes. Le conservateur saisit le bras du vandale.
- C’est un crime, dit le représentant du ministre.
- Ce tableau est à moi, dit le milliardaire. Je l’ai acheté.
- Non, monsieur Norias, dit le conservateur, ce chef-d-oeuvre appartenait à l’humanité.
- J’offre ces morceaux à la France, dit le milliardaire, en se retournant vers le représentant du ministre.
Tarlé, pâle, suivait la scène. « Voilà, pensait-il, ce que Norias voulait faire de mon tableau ».
Le jeune peintre se fraya un passage à travers la foule. César Norias le prit par le bras.
- J’ai une autre surprise pour vous, dit le milliardaire. Le jeune peintre lui coupa la parole.
- Moi aussi, dit-il.
Il retourna le tableau et montra à Norias le cachet d’authentification du tableau.
- Vous avez lacéré un Goya, dit-il.
Norias regarda le cachet avec incrédulité, puis porta la main à la gorge et tomba. La foule sortit du salon, à pas lents. Tarlé, sans se retourner, ferma la marche.
D’après M. Maurois, « Copie conforme ».
Fiche pédagogique
Par Alla Mokhova, professeur de français, école № 1521, Moscou
Avez-vous bien compris le texte? Choisissez des variantes correctes.
I. César Norias était un ...
a) conservateur des Musées Nationaux.
b) peintre illustre.
c) milliardaire.
II. César Norias ...
a) avait acheté la célèbre toile de Goya pour un prix fabuleux.
b) avait herité le tableau de Goya de son père.
c) avait vendu la célèbre toile à Jean-Pierre.
III. Jean-Pierre ...
a) était un copiste médiocre.
b) était un jeune peintre inconnu.
c) était un fin connaisseur en peinture.
IV. La toile de Jean-Pierre ...
a) était une copie idéale de Goya.
b) avait quelques défauts.
c) était dans la collection de César Norias.
V. César Norias ...
a) voulait montrer son Goya à tout Paris.
b) voulait tromper tout Paris.
c) voulait faire connaitre le jeune peintre à tout Paris.
VI. Jean-Pierre avait accepté l’invitation de César Norias ...
a) pour se moquer de lui.
b) pour voir la collection de beaux tableaux des grands peintres.
c) pour réussir la vente de ses tableaux personnels.
VII. Jean-Pierre ...
a) avait fait quelques retouches sur un vrai Goya.
b) avait échangé sa copie pour un vrai Goya.
c) avait mis sa copie dans le cadre.
VIII. Le tableau de Goya ...
a) n’avait produit aucune impression sur le public.
b) avait suscité une vraie discussion des experts.
c) avait bouleversé tout le monde.
IX. César Norias ...
a) avait decoupé le tableau de Goya en 3 morceaux.
b) avait decoupé la copie en 3 morceaux.
c) avait decoupé ses autres tableaux en 3 morceaux.
X. César Norias porta la main à la gorge et tomba car ...
a) le jeune peintre lui avait montré le cachet d’authentification du tableau.
b) le représentant du ministre lui avait saisi le bras.
c) on allait l’arrêter.